Thelonious Monk : a Genius !

Publié le par Dorian_G

Thelonious Sphere Monk naît à Rocky Mount en Caroline du Nord le 10 octobre 1917. Sa famille -sa mère Barbara née en 1892, sa soeur aînée Marion née en 1916 et son frère cadet né en 1920- s'installe, alors que Thelonious n'a que quelques années, dans un 2 pièces à New York. Son père, ancien travailleur dans les plantations né en 1893, sera toujours absent pour raison de santé (vraisemblablement la tuberculose). Thelonious pianote dès l'âge de 5 ans et prend à 11 ans quelques cours dont il se lasse vite. Il est doué et sa mère l'encourage vers ce qui sera, de la propre conviction du petit Thelonious, son métier.
Monk revendiquera l'influence des offices religieux dans l'église Baptiste où sa mère très croyante le conduit régulièrement. A 12 ans, dans l'église du quartier, il accompagne à l'harmonium sa mère qui chante des quantiques. A 16 ans il forme son premier groupe. A 17 et pendant 2 ans, il participe à la tournée d'une évangéliste (saxophone, trompette, piano, batterie). Entre rock&roll et rythm&blues dira t'il.
Puis ce sont des petits boulots, Thelonious évite les grands orchestres pour pouvoir créer sa musique. Il ne manifeste aucun arrivisme. En 1936-1937 il accompagne la chanteuse Helen Humes, en 1939 il est pianiste dans un restaurant chinois.

Thelonious Monk prend place en 1940 à Harlem, dans la formation du Minton's Playhouse, et anime les jams sessions jusqu'à 4 heure du matin, avec le batteur Kenny Clarke. La technique de piano de Monk, peu orthodoxe, fait vite sensation. Tous ceux qui "jouent" à New York sont attirés. Les musiciens viennent après le concert de l'orchestre duquel ils font partie. Le trompettiste Dizzy Gillespie (Dizz), subira son influence révolutionnaire. Monk se lie avec le pianiste Bud Powell déjà très brillant et lui montre ses accords. Il le fait jouer au Minton's. Dizz fait le trait d'union avec Charlie Parker (Bird), qui joue non loin de là, au Monroe's. Monk apporte l'harmonie, Gillespie son phrasé et Parker sa technique. Un langage naît : le be-bop. Dizz et Bird s'envolent vers le succès, Monk reste lui-même et sa musique la sienne.
Son jeu est très personnel : dissonances harmoniques, structures inusitées et discontinuité rythmique, "erreurs" volontaires et phrasé chaotique peaufiné jusqu'à la perfection. Sa compréhension approfondie du système des harmoniques lui permet de développer un style propre, un son. Il frappe 2 notes voisines d'1/2 ton pour en relâcher l'une des 2 une fraction de seconde après, joue un accord conflictuel et fait disparaître au bout de quelques secondes les notes de tension. Le silence et l'évolution du son dans le temps et l'espace l'intéressent. Une de ses plus grandes singularités est de ne pas trop s'éloigner rythmiquement des thèmes sur lesquels il improvise et de maintenir un swing énorme malgré ses audaces harmoniques.
Mais son style pianistique n'est pas des plus parfait : il frappe le clavier avec les doigts à plats, se sert de tout son corps pour marquer certains accents, ses jambes bougent à la recherche d'un pédalier imaginaire, ses mains sont gênées par des bagues volumineuses.
En 1942, le guitariste Charlie Christian meurt de la Tuberculose. Bud Powell restera marqué pour toujours par la matraque d'un policier qui lui provoquera un traumatisme crânien en 1945. Art Blackey lui, a une plaque de métal vissée sur la tête, du fait de la violence raciste de 2 flics d'Atlanta en 1941. Comme le dira le contrebassiste Charlie Mingus "Etre moins qu'un chien c'est être Noir et musicien de jazz dans une Amérique blanche". L'alcool et la drogue touchent Monk comme les autres.
C'est un musicien qui intrigue et dérange avec ces accompagnements discontinus et dissonants. Ses accentuations sont les plus inusitées et les plus inattendues. Il trouve cependant des engagements dans des contextes aussi éclectiques que les groupes du "plus grand" saxophoniste Coleman Hawkins en 1944, avec lequel il fait ses premiers enregistrements, avec Skippy Williams en 1945 et avec le big band de Gillespie en 1946 ; toujours en retard, il se fait virer.

"J'ai été tout de suite attiré par la musique, et je me souviens très bien d'avoir, tout gosse, essayé de retrouver des mélodies au piano. En fait, je n'ai jamais eu besoin d'apprendre à jouer : j'étais doué. Il me semble que j'ai toujours su lire les notes et les traduire en sons. Ma soeur aînée prenait des leçons de solfège ; moi, je lisais par-dessus son épaule. Lorsque j'ai pris des leçons à mon tour, je n'ai pas eu à apprendre, j'en savais assez pour pouvoir me débrouiller." Carnegie Hall, 6 juin 1964 "On m'a souvent dit que ma façon de jouer ne ressemblait à aucune autre et c'est, je crois, parce que j'ai toujours fait ce qui me semblait bon, sans me soucier de ce qu'on voulait que je joue. Ma musique semble souvent ne suivre aucune règle : elle est à moi-même, avant tout."


Miles Davis : "Charlie Parker n'arrêtait pas de m'emmener l'écouter et voulait tout le temps que je joue avec lui. Son utilisation de l'espace dans les solos, sa façon de manipuler d'étranges progressions d'accords m'étourdissait. Je me disais toujours : mais qu'est-ce qu'il fout ce con ? L'utilisation de l'espace chez Monk a grandement influencé ma façon de jouer les solos."


1947 : Monk a 30 ans. Il enregistre enfin ses premiers disques sous son nom pour Blue Note avec Art Blakey à la batterie.
Cette même année il se marie avec Nelly qui lui donnera 2 enfants : Thelonious en 1949 et Barbara en 1953.
Mais son style est toujours trop personnel pour que l'on fasse facilement appel à lui. Le titre de "High Priest of be-bop" que lui colle son éditeur le maintient éloigné du public. Il participe en 1950, avec les 2 autres géants de la première heure, à la séance Verve "Bird & Dizz". La photo de couverture est coupée pour ne montrer que les deux souffleurs et renvoyer Thelonious dans l'ombre.
En 1951, il est arrêté en voiture avec son ami Bud Powell et 2 autres personnes. Un paquet d'héroïne glissé sous son siège lui vaut 2 mois de prison. A sa sortie, on le retrouve bizarre et renfermé. Sa carte de travail lui est retirée : interdiction de jouer dans les clubs de New York pendant 6 ans. Soutenu moralement et financièrement par son amie la baronne Pannonica de Koenigswarter, qui l'hébergera avec sa femme pendant les dix dernières années de sa vie, il ne croise pas les bras pour autant.
Dès 1952, il commence l'enregistrement des 7 séances qu'il fera pour Prestige avec les plus grands batteurs : toujours Art Blakey, Max Roach, Art Taylor et encore Kenny Clarke.
En 1954, il enregistre en solo pour Vogue lors du festival de Jazz de Paris.
Cette même année, il entre en studio avec le saxophoniste Sonny Rollins et comme sideman derrière le trompettiste Miles Davis qui osent courir le risque d'abandonner une part de leur intégrité au profit de l'univers monkien. Une ingérence redoutée dont se défend le pianiste : "Lorsque j'accompagne, je passe mon temps à trouver les notes qui collent avec le jeu du soliste". Miles imposera cependant un silence certain au pianiste pendant ses propres solos.

En 1955 Charlie Parker meurt d'overdose chez la baronne Pannonica. Monk signe chez Riverside, qui lui fait prendre une nouvelle orientation ; il grave un magnifique disque dédié à la mémoire de Duke Ellington puis un disque de standards.
En 1956 il enregistre Brillant Corners avec Sonny Rollins : un thème à l'unisson, le tempo doublé en cours de morceau et d'impro. C'est trop pour l'époque et Monk quitte la séance, excédé de ne pouvoir trouver de musiciens pouvant jouer un morceau aussi évident.
Il enregistre aussi, sous le label Signal, deux albums avec le saxophoniste Gigi Gryce et en 1957 son premier album solo.

1957 : Monk a 40 ans. Il est à nouveau autorisé à jouer dans les clubs new-yorkais, il fait une rentrée fracassante au Five Spot avec le saxophoniste John Coltrane. Triomphe réitéré peu de temps après avec le saxophoniste John Griffith et le batteur Roy Haydnes, avant qu'une autre altercation survenue en 1958 avec la police ne le voie encore interdit de "Cabaret Card" pendant 2 années.
En février 1959, il joue avec un grand orchestre et des arrangements de Hall Overton au Town Hall. Et commence son association avec le saxophoniste Charlie Rouse, un partenaire dédié à la cause monkienne et dont la fidélité sera sans défaut jusqu'en 1970, soit 11 années de loyaux et précieux services, le plus souvent en quartette. Dès lors, le rayonnement de Thelonious Monk ne cessera de s'élargir. Il va sillonner l'Europe, le Japon (très beau double album live Tokyo Concerts) et enregistrer pour Columbia entre autres, en 1963, l'album Criss-Cross et en 1967-1968, l'album Underground.
En 1964, il est en couverture de l'hebdomadaire américain Time Magazine.
Time Magazine, 1964

John Coltrane : "Avec Monk, il faut se tenir sur le qui-vive à tout moment. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Du point de vue rythmique, par exemple, Monk sait créer une telle tension qu'elle oblige celui qui joue d'un instrument à vent à penser au lieu de tomber dans les clichés usuels. Il peut commencer une phrase là où on ne l'attend pas et il faut savoir quoi faire. Du point de vue de l'harmonie, il suit toujours des voies différentes de celles qui étaient prévisibles. Monk m'a surtout appris une chose : ne pas avoir peur de jouer ce que je ressens vraiment."
"Travailler avec Monk m'a fait côtoyer un architecte musical du niveau le plus élevé qui soit. Je sentais que j'apprenais de lui de toutes les façons -par la sensibilité, la théorie et la technique. Quand je lui parlais de problèmes musicaux, il s'asseyait au piano et me montrait la réponse en les jouant. Je pouvais apprendre tout ce que je voulais savoir simplement en le regardant jouer. J'ai certainement vu, en plus de ce que je lui demandais, des choses dont je n'avais aucune idée à l'époque."



C'est la gloire mais Monk est frappé de périodes de mutisme, il arpente sa chambre, erre en ville.
Et le succès du rock et de la pop fait de plus en plus de l'ombre au jazz et à ceux qui n'électrifient pas leur musique...
En 1970, Paul Jeffrey remplace Charlie Rouse au saxophone et son fils Thelonious l'accompagne à la batterie.
Il participe à une tournée européenne avec un all stars baptisé Giants of Jazz en 1971 et 1972. Il est sans chapeau, il n'ouvre pas la bouche.
Cette même année 1971, Alan Bates (label Black Lion) lui permet de graver ses 3 derniers disques (The London Collection) avec Art Blakey comme en 1957 : en 3 heures, Monk enregistre 13 morceaux en solo et dans les 3 heures qui suivent 9 morceaux en trio.
En 1975, concert au Philarmonic Hall à New York après Keith Jarrett : ovation !
En mars et juin 1976, 2 concerts au Carnegie Hall.
Et Monk se réfugie définitivement chez son amie Nica, s'enferme dans la solitude et passe les dix dernières années de sa vie dans une immobilité et une réserve contemplative, avant de mourir d'une hémorragie cérébrale le 17 février 1982, auréolé d'un épais mystère.
Sa fille, qui avait hérité de son tempérament et de son génie pianistique, le suivra de peu, anéantie par un cancer à l'âge de 29 ans. Son fils, Thelonious, lui rendra un hommage magnifique dans un de ses propres disques.

Source : http://garance.chez.tiscali.fr/iris/theloniousmonk.html

Publié dans Musique

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