Tout Mozart à 99 euros !

Publié le par Dorian_G

 Mise en vente, début octobre, l'intégrale de l'oeuvre de Mozart publiée par l'éditeur néerlandais Brilliant Classics s'est déjà écoulée à 10 000 exemplaires en France, au prix de 99 euros. Cela fait 1,7 million de CD au prix unitaire de 58 centimes d'euros : l'acheteur emporte 170 CD et un CD-Rom contenant les textes de présentation, glissés chacun dans une pochette de papier coloré, serrés dans un coffret rouge qui mesure 30 centimètres de longueur, 14 centimètres de hauteur et 13 centimètres de largeur. Pas le grand luxe, certes, mais un produit plutôt joli et facile à utiliser : le revers du couvercle liste chacun des disques regroupés par genre, de la symphonie à l'opéra.

 

 

Ce record de prix sera difficile à battre, mais comme le dit Yves Riesel, patron d'Abeille Musique, distributeur de cette somme, ainsi que de nombreux catalogues classiques, jazz, musique du monde plus luxueux, et éditeur lui-même : "Brilliant a fait là un effort particulier, car habituellement ses coffrets de disques sont vendus au prix de 2, 3 ou 4 euros le CD. Les ventes se portent si bien qu'une Fnac parisienne vient d'en commander cinq cents coffrets de plus."

RECORD DU RAPPORT QUALITÉ/PRIX

Les interprétations proposées se partagent entre rééditions d'enregistrements anciens et interprétations nouvelles ; leur qualité artistique et technique est en tout point comparable à ce qui est publié au prix fort par la concurrence. Ce ne sont pas des rogatons hâtivement compilés dans un boîtier pour faire un coup.

Petit rappel, en 1975, un microsillon des séries les plus bon marché valait 10,80 F. Les interprétations provenaient du vieux fonds de catalogue de grands éditeurs, comme Philips et EMI, et étaient souvent des enregistrements monophoniques. Mal pressés, glissés dans des pochettes fragiles, certains proposaient de grandes interprétations, mais leur caractère économique se voyait autant qu'il s'entendait, car les pressages étaient bruyants.

En 1985, le disque compact, apparu deux ans auparavant, valait de 156 F à 162 F l'unité, et Harmonia Mundi publiait le premier CD économique vendu sur le marché français. Son prix était de 90 F. Vingt ans plus tard, le prix d'une nouveauté est de 26 euros et la part de disques économiques et d'offres spéciales temporaires a crû singulièrement dans un marché qui voit le prix moyen du disque baisser année après année et celui des plus chers stagner.

Si Brilliant gagne aujourd'hui le record du rapport qualité/prix, cet éditeur a été précédé sur cette voie. Quantité de disques publiés en nouveauté valent juste un peu moins de 10 euros. Ceux de l'indépendant Naxos, par exemple, dont le catalogue dépasse le millier de références distribuées internationalement. Ceux aussi d'Arte Nova, collection qui est dans le giron de Sony-BMG. Après des débuts incertains, elle a quelques succès à son actif, dont une intégrale des symphonies de Beethoven, enregistrée dans l'acoustique fameuse de la Tonhalle de Zurich : un million de disques vendus dans le monde. Dirigée par un grand chef, David Zinman, elle aura été la première interprétation discographique à utiliser l'édition musicologique la plus récente de ces symphonies !

Mélomanes curieux comme fauchés peuvent désormais puiser dans les mêmes bacs des disquaires. Car loin de ne proposer que quelques tubes du grand répertoire, Naxos, Arte Nova et Brilliant Classics vont jusqu'à enregistrer des raretés des XVIIIe, XIXe et XXe siècles en première mondiale. Mieux encore, ils les rentabilisent en raison même d'un prix réduit qui accroît les ventes. Qualitativement, plus rien ne sépare un disque cher d'un disque économique comme au temps du microsillon : ni le programme, ni la qualité d'enregistrement et de pressage, ni la prise de son.

Mais comment Brilliant Classics fait-il pour publier des coffrets dont chaque disque vaut 2, 3 ou 4 euros et une intégrale Mozart à 58 centimes d'euros le CD ? M. Riesel donne la réponse : "C'est très simple, cet éditeur achète les droits d'exploitation d'enregistrements sous licence à des indépendants et à des majors. Ces bandes dorment dans leurs placards ou sont encore au catalogue, mais dans un marché où le disque est de moins en moins exposé chez les disquaires, elles ne se vendent pas aussi bien qu'ils le souhaiteraient au prix où leurs disques sont vendus. Et Brilliant ne publie que des coffrets qui sont plus faciles à gérer. Un CD comme un coffret sont un produit, une référence dans un logiciel."

EN ATTENDANT LE TÉLÉCHARGEMENT

Cependant, l'intérêt pour un éditeur de confier à d'autres l'exploitation de pans de son fonds de catalogue n'est pas évidente. Pour M. Riesel, la question est vite tranchée : "Brilliant paie cash les licences d'exploitation et améliore ainsi les résultats d'exploitation des éditeurs, qui n'ont pas à s'occuper de la fabrication et de la distribution des disques. Les grands font un peu de trésorerie, les indépendants touchent de quoi continuer à enregistrer de nouveaux disques grâce à une source de financement nouvelle."

Certes, mais il y a aussi de nouveaux enregistrements dans ce coffret Mozart : "Ils obéissent à la même logique de production que les disques chers. Ils sont soit coproduits, soit autofinancés par des orchestres qui provisionnent dans leur budget la production de disques, soit intégralement financés par Brilliant Classics."

De fait, depuis quelques années, les majors, autrefois farouchement concurrentes, s'échangent des droits d'exploitation pour des publications à caractère encyclopédique : la série de cent albums de deux CD consacrée par Philips aux "Grands pianistes du XXe siècle" mélangeait les artistes Universal, EMI, Sony, RCA et de quantité d'autres éditeurs indépendants. Une première en un peu plus d'un siècle de production discographique.

Cependant, vendre ainsi des disques si peu cher, comme le fait Brilliant Classics, ne revient-il pas à accréditer l'idée que la musique enregistrée ne vaut guère plus que l'objet sur lequel elle est gravée, que le disque est trop cher, ce que lui reprochent les partisans de la copie illégale sur Internet ? Pour M. Riesel : "Brilliant arrive à un moment-clé de la vie du CD. C'est un produit mature, en fin de cycle. Le CD durera encore longtemps en tant qu'objet, espérons-le, pour certaines productions de discophiles, mais la dématérialisation et l'achat en ligne vont s'imposer rapidement. Les éditeurs pourront proposer leur fonds de catalogue à prix réduit grâce à un abonnement mensuel en tout point comparable à celui payé pour le téléphone portable aujourd'hui. En attendant, il y avait une place à prendre pour un éditeur ayant une grande connaissance des catalogues et un goût sûr pour faire des assemblages soignés d'interprétations et les vendre très peu cher."

Article paru dans le Monde du 14/11/2005

Publié dans Musique

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